Dans son pitch de présentation, l’AFREF précisait : “Ce titre peut paraître excessif mais la rapidité des évolutions en cours rend évidente et urgente la nécessité de clarifier les nouvelles professionnalités proposées ou imposées aux métiers de la formation et aux professionnels qui les animent.
En quoi la digitalisation modifie-t-elle ces métiers ? Dans une floraison de nouveaux outils numériques à disposition d’une société de l’apprenance, comment le formateur digital, tour à tour architecte pédagogique, tuteur, facilitateur, modérateur… peut-il trouver ses marques ? De mutations obligées à une autoformation choisie, quelles sont alors les conditions nécessaires à la montée en compétences « technico-pédagogiques » qui sont attendues de lui ? Peut-on apprendre sans formateur ? Comment dans ce contexte, réinvestir la dimension humaine de la transmission et du partage ?“.
Cette matinée a présenté en préalable le décryptage de l’étude menée par l’Observatoire prospectif des métiers et qualifications de la branche des Organismes de Formation sur les impacts de la digitalisation de la formation sur le secteur et ses métiers, pour se focaliser ensuite sur les pratiques professionnelles des formateurs, leurs compétences et leur propre formation.
Cette étude était présentée par Madame Nadine Gagnier, PDG de Man’Agir Consultants et membre du bureau de la Fédération de la Formation Professionnelle.
Puis Madame Anne-Valérie Santiago-Housseau, doctorante au CNAM, a proposé un exposé sur le thème de L’auto professionnalisation des formateurs à l’ère du numérique dans les organisations, suivi par celui sur Les compétences en ingénierie pédagogique numérique, présenté par Madame Dorothée Cavignaux-Bros, doctorante et chargée de formation de formateurs à Paris X Nanterre, ingénieure pédagogique en université d’entreprise.
Dans sa présentation des aboutissants de l’étude sur les impacts de la digitalisation de la formation sur le secteur et ses métiers, Mme Gagnier a pointé un certain nombre d’éléments significatifs mis en exergue, comme la prépondérance confirmée du lien formateur/apprenant dans la relation pédagogique.
Alors non, les formatrices et formateurs ne sont pas voués à disparaître, s’ils démontrent leur capacité à s’adapter à cette évolution, à s’en approprier les exigences, à en dépasser les contraintes, à en saisir les opportunités. Car s’il apparait clairement que le digital n’a pas vocation à se substituer aux formateurs, ces derniers vont voir leur métier évoluer.
Tout d’abord il va leur falloir s’affranchir des freins, parmi lesquels figurent en bonne place le temps et l’investissement financier à consacrer pour intégrer la digitalisation dans ses approches, ses pratiques, ses outils.
Mais les freins sont aussi culturels ; 62 % des dirigeants et intervenants avouent leurs difficultés à s’adapter aux changements liés à l’utilisation et à l’usage du numérique en formation.
S’ils utilisent massivement des outils numériques pour leur fonction communication (91% utilisent un site internet, 75% les réseaux sociaux), seule une minorité – 22% – les utilise pour leur fonction commercialisation (vente en ligne depuis le site internet).
Pour ce qui est du parcours de formation en lui-même, c’est encore la formation présentielle avec l’utilisation d’outils numériques qui est la plus couramment proposée avec 72% de l’offre.
Sitôt que l’on évoque l’usage de la digitalisation dans la formation ouverte à distance, l’accompagnement à l’acquisition de ces nouvelles compétences par les intervenants devient un enjeux visible et sensible.
Du fait des freins évoqués précédemment, et bien qu’ils aient conscience des opportunités offertes par la digitalisation, les Prestataires de Service de Formation peinent à assurer le développement des compétences de leurs ressources formatives, qu’elles soient internes ou externes, qu’ils soient entrepreneurs indépendants (CFI) ou structures collectives (OF).
Au demeurant, Mme Gagnier évoque le lien étroit entre les CFI et OF, ces derniers n’ayant pas toujours ou très peu de ressources internes suffisamment compétentes en matière de digitalisation et de pratiques pédagogiques intégrant le numérique dans les modalités comme dans les outils. Aussi le recours à des Consultants et Consultantes extérieures est essentiel pour les structures collectives désireuses d’intégrer la digitalisation dans leurs prestations de service de formation.
Par ailleurs, on constate que de nouveaux métiers et acteurs (éditeurs, concepteurs, plate-formes…) émergent dans l’écosystème de la formation professionnelle, offrant à la fois de nouvelles perspectives de partenariat comme de nouveaux vecteurs de développement de compétences.
L’exposé sur le thème de L’auto professionnalisation des formateurs à l’ère du numérique dans les organisations était plus particulièrement orienté sur les formateurs salariés des OF.
Il mettait cependant en exergue la nécessité d’intégrer leur montée et leur maintien en compétences digitales dans le cadre de leurs activités professionnelles. Cette notion d’auto professionnalisation est déjà une exigence essentielle dans la posture de l’indépendant, puisqu’il doit par définition l’assurer seul.
Néanmoins, l’exposé pointe le fait que l’apprentissage en la matière se doit de débuter au premier niveau d’acquisition par celle d’un langage, d’une terminologie propre à l’objet de l’apprentissage (taxonomie de Bloom « connaître et citer des données », taxonomie de Schwartz « connaître l’existence de. »). Aussi il convient au formateur novice de commencer par se familiariser avec la sémantique liée au digital et à ses nombreux concepts.
Pour se faire la conférencière évoque par exemple l’opportunité de rejoindre une communauté en ligne d’éditeurs et/ou d’utilisateurs d’outils Elearning, LMS, classes virtuelles, permettant ainsi d’acquérir un vocabulaire partagé, de s’approprier à la fois des éléments de langage communs aux éditeurs et utilisateurs et de donner du sens à des données terminologiques.
(NDLR : ce conseil peut paraître basique et un peu éloigné de la nécessité à se former au digital. Néanmoins, on constate aujourd’hui que nombre de prestataires de formation – indépendants comme OF – butent encore souvent sur des notions terminologiques liées à l’environnement de la FPC.
J’en ai fait le constat désarmant depuis plus de deux ans d’accompagnement de structures et de personnes dans leurs démarches de qualification et de certification. Rien que l’accompagnement à l’enregistrement au Datadock a souvent donné lieu à un très gros travail préalable d’explication de texte(s) pour pouvoir avancer dans la production des réponses aux 21 indicateurs, voire d’expliquer les 6 critères du Décret qualité…).
L’exposé sur Les compétences en ingénierie pédagogique numérique est parti du postulat de la maîtrise de la compétence numérique en tant que compétence de base, telle qu’elle est définie par le cadre de référence européen des compétences clé pour l’éducation et la formation tout au long de la vie (2006 – 4ème compétence : la compétence numérique).
Là encore, la maîtrise de cette compétence clé est un prérequis indispensable à l’apprentissage des techniques d’ingénierie pédagogique numérique. Là encore, ce prérequis ne va pas de soi…
Un autre postulat de départ est celui de l’évolution de la posture du formateur, de moins en moins « sachant » et de plus en plus « médiateur du savoir ».
Il doit être désormais capable d’intégrer des outils numériques à ses pratiques d’accompagnement des apprentissages.
Déjà le décret relatif aux formations ouvertes ou à distance de 2014 a juxtaposé 2 notions : D’une part la justification de l’existence effective d’une démarche d’accompagnement pédagogique, d’autre part la matérialisation de l’accompagnement technique (assistance à distance).
Le formateur indépendant se doit donc d’être au rendez-vous de cette double compétence pédagogique et technique pour répondre ne serait-ce qu’aux exigences réglementaires, cette double compétence imposant la maîtrise des TICE autant sur son ingénierie pédagogique, ses outils d’accompagnement, sa maîtrise du software – voire parfois du hardware.
Aussi force est de constater que les formateurs et formatrices issus des métiers du numérique et exerçant leur activité dans ces domaines sont aujourd’hui la population la plus à même d’appréhender rapidement et facilement les évolutions du métier et de s’en approprier les nouvelles techniques et pratiques.
Mais ne nous y trompons pas, de la même manière que le formateur doit évoluer et sortir d’une posture de sachant se bornant à “transmettre”, la digitalisation ne doit pas se réduire à la mise en ligne de contenus (bases de données, moocs, …).
Il convient aujourd’hui de créer à l’aide du numérique des tiers-lieux dans lesquels le formateur doit être médiateur du savoir et faciliter la socialisation et la co-construction des savoirs.
L’évolution de la posture du formateur le préservera de la disparition, tout comme sa capacité à intégrer et utiliser le digital comme un moyen, un outil au service d’une modalité pédagogique et pas comme substitutif à son rôle de médiateur.