La disparition du salariat, l’uberisation des services et la précarisation des contrats de travail : est-ce réellement en marche ? Bin, pas vraiment !… Beaucoup d’idées reçues et de drôles d’affirmations circulent.

Clarifions un peu et comparons les chiffres :

Le statut salarial, c’est “subordination” contre “protection” :

Stabilisé et normé depuis plusieurs décennies, le contrat sociétal “subordination” contre “protection” – symbolisé par le CDI- serait en voie de disparition, selon certains analystes fortement relayés sur le web. Il ne résisterait pas à la forte poussée des indépendants. La jeunesse aspirerait à travailler de façon plus “libre” et moins systématique, avec un net souhait d’alterner périodes de travail et périodes de formation ou congés.
On entrerait donc dans une nouvelle ère, celle du travail mobile.

Pourquoi pas… d’autant que les plateformes où désormais des indépendants de tous métiers offrent leurs services variés, se multiplient. On peut jeter un coup d’oeil à la rubrique “prestations de services” de Le Bon Coin : impressionnant !…
Enfin, pour qui ne connait pas bien son Histoire du Travail, car cet avenir était imaginé dés le 19ème siècle, par l’économiste belge Gustave de Molinari : une immense Bourse du travail où chacun viendrait offrir ses services et serait payé à la tâche, donc. On sait depuis, que tout le 20° siècle s’est farouchement défendu contre cet esclavage que le “travail à la tâche “représentait pour les ouvriers de tous métiers. Cet avenir potentiel, personne n’en a voulu.

Ce qui est aujourd’hui présenté comme une avancée de notre société (“plus de liberté” et “moins de hiérarchie” par ex.) ne serait donc qu’un retour en arrière, vers encore plus de dépendance et de précarité, sans protection.

Que disent les chiffres face à ces affirmations prédictives ?

Le salariat ne décline pas du tout :

En France, on note une forte augmentation des salariés au détriment des indépendants, depuis les années 70 : disparition des “paysans”, des petits commerçants et des artisans, au profit de grandes entreprises ou hypermarchés où ils sont salariés.
Et côté agriculteurs, ce n’est pas fini : les banques récupèrent leurs terres dès qu’ils ne peuvent rembourser leurs crédits, et les salarient comme l’étaient autrefois, les métayers.

10% à 15% des actifs français sont des précaires, et ce taux n’a pas bougé depuis 20 ans.

“Et le statut d’auto-entrepreneur ?!” me direz-vous
Il a en effet permis à 1,5 millions de personnes de s’installer à leur compte… en plus de leur activité principale ou de leur retraite, pour la moitié d’entre eux.
Enquête Insee de septembre 2016 : 4/10 micro-entrepreneurs n’avaient aucune activité à déclarer en fin d’année !
Voilà donc un espoir déçu, pour lequel je rédigerai un autre billet.

Format spécial pour slider (diapos défilantes)

Aux USA, les indépendants ne représente qu’1 actif sur 10 (soit 14 millions), avec exactement les mêmes caractéristiques qu’en France.

Le travail précaire ne s’impose pas non plus :

Certes, le nombre des CDD et intérims a plus que doublé entre 1980 et 2000 (passé de 5% à 12%), mais depuis… c’est stable et reste minoritaire : 86% des salariés ont un CDI.

On observe donc une coexistence de 2 modes de travail : d’une part, celui des professionnels qualifiés voire experts, grâce à leur expérience au sein d’une même entreprise ou d’un même secteur du marché (et qui se sont maintenus bien formés !) et d’autre part, une main d’oeuvre plus flexible, car débutante ou peu formée (sauf exception bien sûr).

Toute entreprise jongle entre ces 2 besoins :

  • maintenir son niveau de compétences, ce qui nécessite une grande majorité de salariés formés, fiables et fidèles ;
  • s’adapter aux aléas, en employant ponctuellement des intérims, CDD ou faux stagiaires…

L’ordinateur ne remplace toujours pas l’humain :

Malgré la présence indéniable des ordinateurs et de la “numérisation” dans nos vies personnelles et professionnelles, n’en tirons pas de prospectives abusives : le numérique n’envahit pas tout et l’ordinateur ne supplante pas les hommes dans la très grande majorité des métiers. Ceux qui l’affirment ne regardent que les secteurs particulièrement connectés et non l’ensemble des actifs.

Au contraire, ce sont les métiers du soin et du service qui ont le vent en poupe !
En effet, c’est bien ce secteur professionnel (le “Care”) qui a crée le plus d’emploi depuis 25ans : infirmiers, assistants maternels, aide à domicile… des centaines de milliers de création d’emplois, auxquels viennent s’ajouter ceux des services : coiffeurs, serveurs, employés de maison… 25ans d’évolution positive !

La Dares ne s’y trompe d’ailleurs pas, qui les met en avant dans son étude “Les métiers de 2020” paru dans “Dares Analyses” n° 22-mars 2012 : 350 000 créations nettes entre 2010 et 2020, rien que pour le secteur du “soin aux personnes”.

Les coiffeurs et les esthéticiens sont 4 x plus nombreux que les chauffeurs de taxi, alors quand on parle d’uberisation de la société, j’avale mes chiffres de travers !
Les “Uber” sont aujourd’hui 50 000 en France, soit 0,2% de la population active, et plusieurs tribunaux dans le monde, viennent de requalifier ces faux “indépendants” en vrais salariés d’Uber (plusieurs actions déjà jugés et d’autres en cours).

Alors, le travail change ou pas ?

Le marché du travail est évidemment soumis à des tendances contraires parfois même divergentes ; prendre chacune d’entre elles pour LA tendance lourde est une erreur d’analyse ou une facilité peu honorable.

Oui, certains secteurs professionnels connaissent réellement les changements de fond que je viens de relativiser, mais la majorité des emplois s’exercent toujours en salariat stable, avec une forte attente de qualité relationnelle voire de “soin” aux clients : et ça, ça ne va pas changer tout de suite !