Le 23 février matin, l’AFREF (http://fr.afref.org/) organisait un colloque rendant compte d’une expérimentation initiée par la DGEFP et menée par l’OPCA AFDAS entre autres (12 OPCA engagées en total et implication de l’ANACT et de l’ARACT) concernant la Formation En Situation de Travail.
Saluons cette initiative de la DGEFP qui, à la suite de la réforme de 2014, prend à bras le corps les sujets nombreux que cette réforme a fait naître et, au-delà de la réforme, les nouvelles pratiques et exigences émergentes dans le monde économique et social avec lequel nous travaillons quotidiennement. La Fest s’inscrit bien dans le contexte de révolution actuelle initiée par la loi de 2014.
Les objectifs poursuivis de l’expérimentation étaient de réfléchir autour de l’activité travail dans le processus de formation.
Les éléments déclenchant de cette expérimentation :
- Constat que le travail est un facteur d’acquisition de compétences, cela fait consensus mais que l’inverse est également vrai (le travail désapprenant!). Malgré cela, ces dispositifs de formation n’existent pas au regard du droit, sont massifs mais hors des radars de la FP…
- Il existe une congruence entre des enjeux actuels importants de professionnalisation et cette modalité de formation spécifique : diagnostic confirmé par le fait que les TPE PME recourent moins que les grandes à la formation classique hors production,
- Les compétences acquises en FEST sont en adéquation avec les besoins des entreprises (spécificités métier, contraintes de production etc.),
- La Fest permet aussi de structurer l’acquisition de compétences en situation de travail (intention, structuration, formalisation et évaluation des compétences acquises….),
- Comment définir l’éligibilité au financement de ces actions et permettre à l’employeur de démontrer qu’il a satisfait à ses obligations de formation ?
- La réforme de mars 2014 pousse à promouvoir des formes d’innovation pédagogique, un usage plus stratégique de la formation qui ne doit pas être une fin en soi mais remettre le développement des compétences au cœur de la FP. Tendance renforcée par la loi travail qui introduit la possibilité du forfait : le dispositif peut-être évolutif, co-contruit et ajustable au fur et à mesure, il introduit la notion de parcours avec des activités connexes (compagnonnage, accompagnement etc.) incorporables à la FP.
- Faible capacité du système de FP à faire de la Fest : outillage technique, juridique, pédagogique, acceptabilité sociale. Les partenaires sociaux ont pu freiner également (thème de l’éducation permanente), les organismes de contrôle également pouvaient être réticents car devant une inconnue…Le modèle « séparatiste » travail-formation est longtemps resté comme le modèle privilégié !
- Réfléchir au lien entre Fest et certification, cette question se pose également pour le CPF et l’application des critères Qualité…
Cette première réunion (suivie d’autres les 29 juin et 23 novembre pour rendre compte de la totalité de l’expérimentation notamment sur des dimensions plus pédagogiques…) avait vocation à évoquer le versant institutionnel de la FEST. Nous pouvons regretter ce travers bien français consistant à poser les questions institutionnelles et de financement avant de parler utilité économique et sociale et innovation pédagogique!
Comment financer la FEST, la rendre éligible, lutter contre les fraudes ? La préoccupation d’éviter que certaines entreprises utilise les fonds de la formation professionnelle ou prétendent remplir leurs obligations pour financer ce qui relève d’autre chose prend-elle le pas sur les préoccupations de démonstration de l’utilité sociale et pédagogique!? La formation continue-t-elle d’être vécue comme une contrainte par les entreprises, que faire pour qu’elle devienne une opportunité et un investissement ?
La question de savoir si elle est éligible ou pas, reste ouverte…comme c’est le cas pour les FOD…la DGPFP le dira et précisera les conditions de l’éligibilité !
Déroulement de l’expérimentation :
Dans le cadre de cette expérimentation, l’Afdas a posé quelques règles et parti-pris somme toutes assez souples :
- Répondre à un besoin de formation sur-mesure d’une entreprise et la conduire sur place,
- Professionnaliser un acteur référent dans l’entreprise pour qu’il coordonne et formalise le parcours de l’apprenant,
- Le protocole est un engagement sur la reconnaissance des compétences en aval de la FEST (ce qui change la donne par rapport à l’évaluation donnée par l’organisme de formation actuellement).
Partis pris :
- Faire confiance à l’entreprise pour créer et mettre en œuvre son parcours de formation idéal,
- Financer la FEST sur des fonds mutualisés : professionnalisation du référent et formation de l’apprenant,
- Financer surtout la progression et l’acquisition de compétences versus le temps passé en formation. Petite révolution, car aujourd’hui la FP finance du temps passé en formation ! On retrouve ici un sujet inépuisable de la FP, absolument pas spécifique à la FEST : comment valider l’acquisition de compétences ? Soyons vigilants à ce que la réforme de 2014 ne produise pas des monstres de système de certification/validation qui ne garantissent en rien l’appropriation des compétences!
- Certaines entreprises ont vu un effet d’aubaine dans la loi pour baisser les dépenses. La FEST est une des réponses à cette problématique en internalisant en partie et en dopant la rentabilité de la formation…
Formation en situation de travail, ce qui la différencie d’un geste de production :
La formation en situation de travail, nous la pratiquons tous depuis fort longtemps. Préciser ce qu’elle est effectivement et sous quelles conditions elle se différencie de l’acte de production ou de la simple adaptation au poste de travail et devient un geste de développement des compétences est bien sûr important ; Sinon tout acte de production devient de la formation ou toute formation s’apparente à de la production…Une des intervenantes a toutefois fait remarquer que l’adaptation au poste de travail est un des objectifs de la FP reconnus par la loi (niveau 1)! Le niveau 2 (développement des compétences) de la loi de 2014 est devenu trop exigeant (reconnaissance des connaissances acquises et accès prioritaire à un poste), ce qui a conduit comme toujours lorsque l’on multiplie les systèmes contraignants à conduire les employeurs à ne plus en faire!
Cette expérimentation a permis de rappeler quelques fondamentaux de la situation de formation et ce qui la différencie d’un moment de production :
- Elle doit être inductive, partir des pratiques pour construire des intentions pédagogiques et définir un parcours intégrant des objectifs a minima. Un itinéraire qui a été défini dans cette expérimentation sans contrôle des temps passés en formation !
- Un management de proximité impliqué : en amont et en aval sur l’évaluation des compétences de l’apprenant et pour créer des situations de travail apprenantes ou propices aux apprentissages,
- Des droits explicites pour l’apprenant : droit à l’essai, à l’erreur, droit d’apprendre et de prendre le temps…,
- Attention de l’apprenant indispensable : faire ne permet pas d’apprendre il faut faire en conscience pour apprendre…,
- Mettre en place un feedback pour intégrer la compétence ou une pratique réflexive de l’apprenant.
Un débat a eu lieu sur le fait que toutes les situations de travail ne sont pas nécessairement apprenantes et certaines pouvant être même aliénantes, le travail aliénant revient en force en ces temps de campagne présidentielle mais ne balayons pas d’un revers de main cet argument car nous, praticiens de la formation, devons savoir ne pas faire de nos actions de simples outils de productivité ! La productivité c’est bien mais ce n’est pas suffisant!
Favoriser l’expansion de la Fest et la sécuriser constitue un des enjeux de cette expérimentation et, pour cela, bien savoir la différencier d’un acte de production est indispensable et pas uniquement pour pouvoir s’assurer que les entreprises ne privilégient pas les économies budgétaires sur toute autre considération pour définir leur plan de formation ! Nous sommes conscients, en tant que praticiens, que la légitimité de nos actions tient aussi au fait que l’action de formation ne se confond pas totalement avec l’acte de production même si elle est articulée à celui-ci, particulièrement pour la FEST.
Qu’a révélé cette expérimentation ? :
- Points positifs :
- La FEST est efficace, souple, flexible et en cohérence avec l’activité et quelquefois davantage que la formation traditionnelle,
- Elle est un vecteur de circulation des compétences et expertises métiers,
- Elle permet des montées en compétence rapides et chirurgicales,
- C’est un levier de création d’un réseau de formation en interne, d’ambassadeurs de la formation (acteurs référents) qui promeuvent et peuvent être la clé de voute du déploiement de programmes de formation. Cela permet en particulier de lutter contre un phénomène que nous connaissons bien, celui de la désaffectation croissante des salariés à l’égard de la FP,
- Elle permet de revisiter les processus de travail,
- La relation référent-apprenant évolue positivement…
- Points de vigilance :
- Le faible niveau de formalisation et de capitalisation des expertises internes constaté dans les entreprises,
- La formation interne est peu reconnue, outillée et valorisée,
- On constate une subjectivité fréquente des pratiques d’évaluation, de détection des potentiels etc.
En tant que praticiens de la formation, nous devons valoriser notre capacité à être présents dans le développement de ces pratiques de formation que nous connaissons et pratiquons et apporter notre compétence d’ingéniérie pédagogique, d’animation et d’évaluation des compétences.
Ne soyons pas exclus de ces dispositifs émergents et prometteurs !
Pascal Guérif
PS Le 29 juin, je ne pourrai pas assister à la 2° réunion, je lance donc un appel à ceux d’entre vous qui êtes intéressés pour assister et nous faire un compte-rendu (le thème sera le compagnonnage).
Merci de prendre contact si vous le souhaitez avec Pascal Guérif : p.guerif@hotmail.fr