Peut-on toujours vivre en tant qu’indépendant lorsque l’on est formateur et consultant ? Plus grande précarité, difficulté à avoir une visibilité sur nos activités, réforme du code du travail et de la formation professionnelle, recours à des micro-entreprises… Quels sont nos atouts pour nous adapter à ce contexte ? quelles actions peut-on réaliser ?
Une première vague révélatrice
La création du statut d’auto-entrepreneur date de 2008 (nommé micro-entreprise maintenant). C’est la 1ère vague de recours aux auto-entrepreneurs (AE) au sein des organismes de formation (OF), qui procèdent alors à un double mouvement :
- plutôt que de recruter des formateurs salariés, ils ont recours aux AE ;
- ils demandent à certains de leurs formateurs internes de devenir AE, occasionnant par là des départs “volontaires”, des licenciements ou des non renouvellement de CDD.
Ainsi, en 2008, 40% des collaborateurs de la société de formation, Formacad, sont devenus AE. La cour d’appel de 02/2015, confirmée par la cour de cassation de 07/2016, a qualifié de “travail dissimulé” ce tour de passe-passe.
Une précarisation installée et une professionnalisation qui flageole
De 2009 à 2012, une augmentation significative du recours à ce statut est notée, avec une relation avérée de dépendance, une plus grande précarité des Consultants-Formateurs Indépendants (CFI) concernés et une problématique de professionnalisation plus forte.
Alors qu’un OF se doit de former ses formateurs salariés, en mobilisant le cas échéant son OPCA, le CFI en AE doit se former lui même, sans être maitre de son agenda et sans mobiliser de financements.
Bien sûr le contexte économique explique le souhait de plus de flexibilité des OF. Les échanges téléphoniques et les rencontres organisées par le Sycfi montrent bien que si certains ont choisi le statut d’AE pour se lancer, se tester, bien d’autres y sont contraints. Plus de précarité donc, et une baisse des tarifs concomitante, ont conduit des collègues CFI à ne plus pouvoir exercer leur activité.
La réforme de 2014, mise en oeuvre au 1er janvier 2015, a été un coup supplémentaire dans le champ de la formation. Ainsi, le chiffre d’affaire des OF a baissé en moyenne de près de 30% en 2015.
A titre d’exemple, plusieurs consoeurs et confrères ont sollicité le Sycfi pour défendre leur situation auprès de deux OF, acteurs majeurs du marché de la formation, et dénoncer cette mécanique désormais éprouvée : statut d’AE + baisse des tarifs + allongement des délais de paiement. La peur des CFI est grande puisque sur plus de 40 collègues qui ont saisi le Sycfi, seuls 2 d’entre eux sont allés au bout de la démarche entamée par notre syndicat. Evidemment nous avons négocié avec ces deux OF en particulier, avec, il faut le reconnaitre, un succès mitigé.
Pour rappel, la convention collective des OF, en fonction de la grille indiciaire, indique que le temps d’animation annuel pour un salarié est de 1120h/an. Un CFI qui travaille entre 700h et 800h avec le même OF chaque année, reste t-il toujours une “micro entreprise” ?
Présomption de travail dissimulé
Les URSSAF tendent à considérer que si un indépendant réalise 40% de son activité avec un donneur d’ordre, il y a une très forte présomption de travail dissimulé.
Evidemment, en tant qu’indépendant, on recommande de ne pas dépasser 25% de son chiffre d’affaires avec un seul client.
D’ailleurs, afin de se prémunir de ce risque de requalification, certains de nos client (entreprises ou OF) demandent aux CFI de fournir des éléments de preuve d’un CA équilibré.
Des perspectives d’adaptation pour les CFI ?
Certes, nous pourrions nous arrêter à ce constat :
- Précarisation
- Dépendance forte par rapport aux OF
- Se former / se professionnaliser est plus compliqué et onéreux
- Multi statuts (AE, vacataire, en société de portage, TNS…) avec lesquels le CFI doit apprendre à jongler pour éviter tout déboire (caisses de retraite, assurances chômage, mutuelles, TVA…)
Mais…
La Micro-entreprise est surement un régime – lorsque c’est un choix analysé – qui répond parfaitement à certaines contraintes des CFI. Il ne s’agit pas de le décrier.
Il semble bien que le sens du vent législatif nous porte vers plus de “flexibilité”, un plus grand recours aux indépendants et autres freelances, avec plus d’opérateurs d’intermédiation. Ces opérateurs ne maitrisent ni le domaine de la formation, ni les aspects qualité pourtant indispensables pour l’employabilité de chacun.
Le CFI est un acteur pertinent dans ce monde complexe et mouvant, aux informations multiples à qualifier. Dans notre ADN se trouve l’expertise du “consultant” : analyser des situations et les décoder, intégrer des demandes premières pour en tirer les besoins réels, adapter son offre à la multiplicité des contextes professionnels.
Ainsi, l’esprit agile du CFI est une force pour les clients. Mais le comprennent-ils vraiment lorsqu’ils demandent à un OF de tirer les prix vers le bas ? Ou lorsqu’ils demandent à un CFI de monter un dispositif lourd, sans lui fournir le temps, les moyens (tarifs), les interlocuteurs pertinents en interne ?
Une baisse du nombre de CFI ?
Le législateur a exprimé à plusieurs reprises son objectif de réduire le nombre de prestataires de formation : est-ce une bonne idée ?
Faut-il créer une barrière à l’entrée, comme dans certains pays européens où seuls les formateurs “certifiés” peuvent exercer ?
A ce jour le Sycfi indique aux CFI les compétences à maitriser et les incite fortement à faire valoir leur professionnalité en particulier avec le Répertoire professionnel des CFI (RP-CFI) que notre syndicat a largement concouru à créer. => Faut-il aller plus loin ?
Il me parait que deux circuits se dessinent :
- Le premier, c’est celui des formateurs agissant pour le compte d’OF ou d’universités d’entreprises. La relation de dépendance est telle que l’on doit s’interroger sur la possibilité, pour ces formateurs, de conserver un statut d’indépendant.
- Le second, c’est celui de CFI. Moins nombreux, plus agiles, mieux formés, peut être labélisés et sachant se regrouper pour proposer des formations multi-modales (blended-learning par ex…).
=> Vos avis et remarques à ce sujet sont les bienvenues.
Des actions, dès à présent :
Se former :
- Il est indispensable pour un CFI, de dégager du temps pour sa formation initiale et continue et ce, sur l’ensemble du spectre de son métier et de sa posture d’indépendant. Mais quid de la réforme annoncée, affectant les OPCA, le FIF PL ?…
- Un CFI peut-il avoir accès au CPF, au CEP, comme un salarié ou un fonctionnaire ?
- Un CFI peut-il bénéficier d’une formation longue, prise en charge par un OPACIF / Fongecif, quelque soit son statut ?
Renforcer sa visibilité par rapport aux clients :
- C’est un axe que le Sycfi doit mieux porter, sans aucun doute, mais que chaque CFI doit également défendre.
- Si le Sycfi, à juste titre, s’est positionné fortement auprès des pouvoirs publics, de partenaires comme l’AFNOR, Centre Inffo, l’Afref… il devient urgent de plus s’investir dans des relations avec le monde de l’entreprise.
- Il est judicieux de mettre en avant nos atouts “conseil et ingénierie” : la charte de déontologie, une démarche qualité, les actions de professionnalisation, une capacité à proposer des diagnostics amont et des évaluations aval…
Agir au plan collectif : des actions syndicales :
- Dénoncer aux URSSAF les OF qui sont dans des rapports abusifs ?
- Assurer la pérennité de l’activité des CFI, en leur proposant un réseau de pairs, des actions de professionnalisation, une veille et une assistance juridique ?…
=> D’autres actions sont-elles à mettre en oeuvre ?
Vincent BOGAERS, Délégué Régional Ile de France