Aborder le syndicalisme comme un travail, implique de le situer dans son contexte avec ses ressources et contraintes propres, de recenser les activités déployées, d’identifier les visées poursuivies… mais on se heurte au manque criant de recherches sur les impacts de l’évolution du travail sur le syndicalisme -notamment avec les “activités de services” désormais fortement majoritaires.

Au coeur de cette réflexion, des questions essentielles posées lors du colloque organisé par le CIRFIP pour la sortie du numéro 18 de La Nouvelle Revue de Psychosociologie, Paris – 31 janvier 2015, et auquel j’ai participé :

  • Le syndicalisme est-il un métier, une fonction, une mission ?
  • Quelle division du travail prévaut entre syndicalistes ?
  • Quelles sont les formes, les voies et les risques de l’engagement dans ce travail ?
  • Comment maintenir les liens et la réciprocité entre syndicalisme militant et syndicalisme d’expertise ?
  • Comment renouveler les responsables et intégrer des jeunes aux postes de décisions ?…

En écho, je vous propose donc 3 axes de réflexion, auquel le SYCFI ne devrait pas échapper de mon point de vue :

Le syndicalisme est-il un travail ?

OUI au regard du fort engagement-temps des responsables syndicaux, du degré d’organisation nécessaire en interne, d’une hiérarchisation fréquemment observée, des problèmes totalement identiques à tout organisme de travail… et même les pires : stress et harcèlement, favoritisme et passe-droits, tensions et fractionnements (avec les fameuses “tendances minoritaires”), conflits relationnels, sentiment de travail bâclé-ravalé du fait de la surcharge de dossiers, désaccords inter-générationnels… du connu, qu’on ne s’attendrait peut être pas à rencontrer dans un syndicat.

NON bien sûr, parce que reste toujours dans nos conceptions, l’idée que “tout travail mérite salaire”… c’est la base.
Et surtout peut-être parce que l’objet même de ce travail, sa mission, son “produit” principal, quel est-il au fond ?
Sommes-nous des travailleurs de la transformation sociale ?… Un syndicat produit-il “du changement” ou bien “des rapports de force”, ou encore “des normes qualitatives qui veulent défendre le travail bien fait” ?…
Que “produit” le SYCFI ? Consacrons nous suffisamment d’énergie à cette définition ? Veillons-nous suffisamment à ne pas dévier de notre mission ?…

Ce qui est certain, c’est qu’aucune recherche à ce jour n’épingle cette dimension. On ne sait pas intervenir en milieu syndical comme on intervient dans une entreprise. Les quelques psychosociologues présents au colloque et qui s’y sont essayés, en ont été pour leur frais ! Paradoxe… Les syndicats en principe demandeurs, déploient de fortes résistances à toute étude de leur fonctionnement et toute remise en question…
“Il vaut mieux continuer à pomper et qu’il ne se passe rien, plutôt que de cesser de pomper et qu’il se passe quelque chose”
Vous aurez reconnu le célèbre concept de la philosophie Schadock.

L’objet principal du syndicalisme est-ce bien le travail ?

Finalement, sur quoi doit se centrer un syndicat ?! N’est-il pas censé défendre le travail, tel que vécu et réalisé par les salariés, au regard de celui qui est prescrit et évalué par l’employeur / hiérarchie / décideur ? Ce n’est plus si simple !

Un rappel historique : les recherches en ergonomie ont depuis 50 ans coopérer avec les syndicats.
L’étude sur la perturbation du sommeil pour les conducteurs de train par ex, ou les études des postes monotones à tâches répétitives, surtout donnés aux femmes, dans lesquelles les chercheurs ont écouté les plaintes d’abord et avant tout, puis mis en relief les nuisances du répétitif et les nombreuses adaptations immédiates et autonomes qu’elles faisaient sans que ce savoir-faire leur soit reconnu… ces études donc, sont fondatrices pour tout ergonome et tout psychosociologue intervenant en milieu industriel. L’ergonomie a construit ses concepts avec ses expériences de terrain.

Mais justement : la “serviciarisation” de nos modes de travail, change bien la donne.

  • En 2014, 75% des salariés sont sur des métiers de services, alors qu’ils étaient 28% en 84. Les demandes viennent donc de l’extérieur (le client) et non de l’interne (le patron).
  • Une part très importante des objectifs est définie par le salarié lui même ou avec son chef direct ; il s’en sent responsable y compris lorsque cela lui pose des questions éthiques (de plus en plus nombreuses).
  • L’adaptation à toute sortes de contraintes est devenue la norme, générant doutes et craintes (ai-je bien réagi?), tensions avec le demandeur (oser refuser), recherche de solutions, souvent uniques, au cas par cas.
  • La pression ne cesse de monter (quantité, rythme, qualité) imposant à chacun un tri draconien et culpabilisant au regard de sa déontologie (ce que je fais bien / ce que je survole / ce que laisse de côté).
  • Et bien sûr, la précarité envahissant de multiples métiers, et que d’aucuns nous présentent comme “des opportunités de changements”.

Au final, c’est l’individu qui forge son propre rapport au travail : l’antithèse du syndicalisme.

La réduction des espaces communs et l’engouement pour le télétravail, les concepts d’autonomie à son poste et d’auto-évaluation, par ex… empêchent l’élaboration commune. Les conflits sur les normes de travail sont peu analysés ensemble et transformés, à tord, en conflits interpersonnel ; chacun se débrouille.

Alors que le ciment syndical se consolide dans l’expérience de la discussion, qui redonne aux salariés leur capacité d’expertise sur leur travail et son organisation. La prise de conscience des difficultés et des exigences communes recréent des liens et des solidarités. Ils intègrent l’autorité que leur confère l’expérience même du travail.
Le syndicat ouvre un réel espace de démocratie, grâce à un espace anti-hégémonique. Chacun y (re)devient expert de son métier.

Quant aux plus jeunes : de quoi sont-ils preneurs ?

Aujourd’hui, les jeunes syndiqués sont très peu politisés, issus de familles sans engagement, ne maitrisant pas le vocabulaire de base ni même les noms des autres syndicat ; ils n’ont aucun bagage ! Cette transmission s’est diluée, parfois carrément perdue.
De nombreux fondateurs-dirigeants partent en retraite : qui fera évoluer le syndicalisme ? Les jeunes repartiront-ils à zéro, reconstruiront-ils leurs analyses, leurs luttes et leurs acquis ?…

Ils sont attachés au “local” et au “terrain” ; leur peur de se voir “imposer des directives venues d’en haut” les amènent à valoriser les actions locales, pragmatiques, sans envergure politique mais concrètes.
Etonnement, on les trouve assez demandeurs de fermeté dans les discussions avec la hiérarchie. A l’opposé des jeunes non syndiqués, les plus nombreux très sensibles à “ne pas faire de vagues”, à appliquer une forme de paix relationnelle apprise à la maison, facteurs de compromis mous, d’inhibition voire de soumission une fois en entreprise.

Je me souviens comment, jeune fille, j’ai appris la déontologie, les normes et les subtilités de ma profession (éducatrice de Justice, pour mineurs délinquants)… grâce aux anciens qui nous expliquaient lors des réunions syndicales et argumentaient patiemment. Et y compris comment se déclarer en grève, tout en assurant la sécurité et les besoins minimum de mon “outil de travail”. Je portais un brassard “Gréviste” alors que je poursuivais mes activités avec les jeunes (“Analyse le système complet. Ne te trompe pas de cible” m’avait-on  appris). J’en étais fière.