La digitalisation a considérablement bouleversé notre rapport au temps et au savoir : attendre n’est plus acceptable pour personne. Quant à l’effort personnel pour “résoudre le conflit cognitif”… alors là ! Croire que la formation continue va encore résister longtemps à cette accélération du temps est devenu illusoire.

La formation subit de plein fouet cette révolution du rythme

Avant, le process s’étalait sur plusieurs mois voire plusieurs années : demander à son chef s’il veut bien qu’on se forme, puis remplir une fiche qui va circuler jusqu’au responsable de formation, attendre plusieurs mois que la demande soit prise en compte au Plan ou qu’il en trouve le financement, recevoir l’année suivante son inscription et la date… qui – mince alors ! – tombe précisément à la période la plus chargée du service… et bien sûr en attendant, “faire avec” ou plutôt “faire sans”. On connait ça depuis 1971. Ainsi, la moindre demande émergée en mars 2015, était structurée entre mai et sept afin d’être incuse au futur Plan, lui même diffusé en octobre dans les services, pour que les inscriptions se fassent avant décembre (ce qui était fort rarement obtenu) et que le Plan 2016 démarre à grand effort administratif en février ; le salarié recevait alors la confirmation de la formation convoitée dont la date était, disons…. en novembre 2016 : 20 mois d’attente !

Nous nous sommes inscrits durant plusieurs décennies dans ce lourd processus, et ceux d’entre nous qui exercèrent comme moi, des responsabilités dans un service formation, savent à quel point il était délicat de jongler entre le fameux Plan et des “enveloppes” financières mises de côté pour répondre aux besoins non planifiés. Dans mon cas, c’était strictement interdit. Et je l’ai toujours fait.

Aujourd’hui, de plus en plus de salariés cherchent à se se former en dehors de ce lourd circuit, tant il leur parait totalement dépassé. Et tant ils subissent la pression de l’efficacité immédiate. Et tant ils craignent de se faire éjecter du système si les résultats ne sont pas là. De tels délais pour se former n’est plus envisageable. Je les comprends, à vrai dire.

Pourtant… je me souviens de mes propres formations et de l’intérêt du temps qui passe, comme levier de mon élaboration psychique. Ma demande de mars évoluait parce que confrontée aux situations de travail quotidiennes ; en juin, je cherchais des idées et des solutions avec mes collègues (bon, maintenant on nomme ça plus pompeusement, mais vous voyez ce que je veux dire, non ?…) et puis dès septembre, j’interpellais mon chef et les anciens : ils ne savaient pas, eux ?! c’était leur boulot, non mais, que de me transférer les savoir-faire, les méthodes et les astuces du métier ! Alors quand arrivait enfin MON stage, beaucoup plus tard, je n’étais plus la même: mes questions au formateur étaient ciblées, étayées d’exemples, nuancées d’essais intermédiaires que j’avais tentés ; je rentabilisais chaque instant dudit stage attendu si longtemps : pas question de ME le gâcher !

Pas une seule des formations que j’ai suivies ne m’a frustrée – et ce, quelque soit la qualité pédagogique ou d’animation des formateurs. Elles m’ont toutes donné satisfaction. Je m’en suis nourrie et mes compétences n’ont eu de cesse de se développer.
Parce que je voulais absolument en tirer quelque chose.
Parce que lorsqu’on arrivait à la bonne date, j’étais prête.

La formation doit désormais être accessible : qu’est-ce à dire ?

Une formation accessible à tout moment, depuis chez moi ou à l’heure du déjeuner sandwich en mains,

Format spécial pour slider (diapos défilantes)

des modules segmentés par unités de 20 mn au maximum, des jeux pour me faciliter l’apprentissage et des quizz forcément réussis pour me gratifier et maintenir ma motivation, des pop-up automatisés pour avoir l’air d’interagir avec moi bien que je sois seul devant l’écran… voilà les promesses des nouveaux produits de formation, bien marquetés.

Tout semble à portée de mains, simple à acquérir et parfois à un faible coût : les MOOCs, par exemple, ouverts à tous et évolutifs, ont déplacé les anciennes frontières de la formation. Et ça ne fait que commencer !

  • Les jeunes salariés revendiquent de pouvoir décider seuls des formations qu’ils veulent suivre et “d’avoir la main” dessus ; les lancer, les suivre, les valider “quand je veux/comme je veux”
  • Des mises à jour et des adaptations déduites des réactions des apprenants, modifient le programme du MOOC conçu au départ ; il est toujours “up to date”
  • Les nouveaux outils ne cessent d’enrichir la pédagogie de la transmission, la rendant comme “transparente” : une vidéo, une animation ludique, une salle interactive à distance… ça a l’air si facile à concevoir et à animer !
  • Les acheteurs de formation réclament des “produits sur étagères”, sans analyse de besoins ni adaptation à la culture locale… mais qui marchent parfaitement, bien sûr
  • Des ateliers brefs et sur le lieu même du travail sont de plus en plus souvent organisés : Etude de cas pour 5 chefs de projet ; le formateur animera avec la méthode Yapuka – box 308 – mardi 10h à 12h (respectez l’horaire de fin, une réunion est programmée derrière vous).

En se voulant “accessible” la formation continue devient de plus en plus “simpliste”.
Résoudre cette tension inhérente à la confrontation des représentations d’un participant avec les propositions du formateur (nouvelle méthode, nouveaux comportements…), tension psychique savamment appelé “conflit cognitif”, fait partie intégrante du processus même d’apprentissage.
Mieux encore si ce conflit s’établit entre divers participants : une dynamique de groupe à susciter, animer, réguler, apaiser… afin de renforcer le collectif (références communes, pratiques partagées) et les micro décisions individuelles : “demain, je mets ceci en place”.

Et sur ce plan, la révolution “formation digitale” ne m’a pas encore convaincue.

Se former est devenu banal

Oui, se former n’a plus rien d’exceptionnel.
A la vitesse s’est ajouté la facilité d’accès, ce qui a définitivement désacralisé l’objet.
Je ne sais pas trop si je le regrette.
Pourtant… le temps renforce la demande. La rareté des choses renforce leur prix.

Car au delà de ces changements techniques et organisationnels, c’est la confusion grandissante entre :

  • “apprendre” et “se former”
  • “connaitre” et “intégrer”
  • “savoir ce qu’il vaut mieux que je fasse” et “modifier mes comportements”
  • “ME former” et “développer NOS compétences”

… qui est une sacrée dérive !
Une formation rapide et flexible certes, mais.. une formation quand même !